Une leçon de philosophie d’écopsychologie

par Mohammed Taleb

 

L'épistémologie et l'éthique constituent deux piliers fondamentaux de la réflexion philosophique, et cela dans toutes les cultures de l’humanité. Ces deux piliers structurent à la fois notre rapport à la connaissance et notre orientation dans la vie et dans l’action.

L’épistémologie interroge les modèles de pensée qui façonnent notre compréhension du réel, qu’il s’agisse du dualisme, qui distingue, ou de la non-dualité, qui tend à dépasser les opposition en envisageant une continuité. Elle se décline également en diverses méthodologies, comme le réductionnisme, qui analyse le monde en éléments distincts et mesurables, ou la transdisciplinarité, qui cherche à dépasser les cloisonnements disciplinaires pour saisir la complexité du réel. En parallèle, elle englobe les théories de la connaissance, telles que le matérialisme, qui considère que tout est réductible à des processus physiques, ou l’idéalisme, qui affirme la centralité des idées ou de la conscience.

L’éthique, quant à elle, porte sur l’axiologie, c’est-à-dire l’étude des valeurs. Elle interroge et clarifie nos systèmes de valeurs qui orientent nos choix. Elle pose ainsi la question des orientations de vie, en définissant les idéaux poursuivis par une personne ou une société, et des orientations pour l’action, qui précisent les critères permettant d’évaluer la justesse ou la légitimité d’un acte.

En conjuguant ces deux dimensions – l’épistémologie et l’éthique - l’être humain façonne à la fois sa vision du monde et les principes qui guident son engagement dans celui-ci.

L’écopsychologie, en tant que champ de recherche et de pratique inspiré par le chemin de Theodore Roszak, repose sur une épistémologie qui dépasse le cadre réductionniste et mécaniste des sciences occidentales modernes pour adopter une approche intégrative et transdisciplinaire. Elle remet en question le dualisme occidental qui sépare l’humain de la Nature vivante et s’appuie sur des modèles de pensée non-dualistes ou holistiques, où l’esprit et la matière, la conscience et le monde, ne sont pas envisagés comme des réalités opposées mais comme des dimensions interdépendantes d’un même processus vivant. En ce sens, elle se nourrit à la fois d’un matérialisme élargi – qui reconnaît l’intelligence et la sensibilité du vivant – et d’un idéalisme qui valorise l’expérience intérieure, les images archétypales et l’imaginaire comme sources de connaissance. Méthodologiquement, elle mobilise des approches transdisciplinaires pour articuler psychologie, écologie, anthropologie et spiritualité, évitant ainsi le piège du réductionnisme qui fragmente la compréhension du lien entre psyché et cosmos. L’écopsychologie engage ainsi une transformation du regard, où la subjectivité humaine ne s’oppose plus à la réalité objective naturelle mais devient un espace de résonance avec le vivant.

Dans cette perspective, l’éthique de l’écopsychologie rejoint la philosophie de l’Âme du monde, qui postule une unité sous-jacente du vivant et de la conscience (c’est le thème de l’« unus mundus » ds Alchimistes, ou celui de l’« Émanation » (Procession-Conversion des Néoplatoniciens). En ancrant l’orientation de vie dans une reconnexion à cette dimension, elle propose une axiologie fondée sur des valeurs comme l’interdépendance, la justice globale (sociale, écologique, culturelle, cognitive, etc.) et le respect du vivant dans sa diversité. Cette vision éthique s’oppose aux systèmes de valeurs utilitaristes, marchands et productivistes, qui réduisent la Nature à une ressource exploitable, et privilégie au contraire une orientation pour l’action inspirée par le soin, la contemplation, la coopération et la responsabilité envers le monde. Elle invite à des pratiques transformatrices qui réconcilient l’Accomplissement de soi et l’engagement collectif, dépassant ainsi l’individualisme du développement personnel et la résignation face aux crises socio-écologiques. Dans cette optique, la quête de sens ne se limite plus à un bien-être subjectif mais devient un processus de réenchantement de notre rapport au monde, par delà le capitalisme putride et sa « cage d’acier » (Max Weber).