Une contribution de Marie-Louise von Franz et de la psychologie jungienne à l'émergence de l'écopsychologie comme champ de connaissances
Par Mohammed Taleb

Source de la photographie : https://www.marie-louisevonfranz.com/fr/
Marie-Louise von Franz (1915-1998), éminente psychologue et érudite suisse, fut non seulement une proche collaboratrice de Carl Gustav Jung, mais également l’une des figures majeures du développement de la psychologie analytique après lui. D’origine autrichienne, elle s’installe en Suisse dès son enfance et entreprend des études en philologie classique, un domaine qui influencera profondément son travail ultérieur sur les contes de fées et l’alchimie.
C’est à l’âge de 18 ans qu’elle rencontre Jung, une rencontre décisive qui la conduira à travailler étroitement avec lui pendant plus de trois décennies. Spécialiste des contes populaires, elle y perçoit une matrice universelle des archétypes et de la psyché collective, prolongeant ainsi les recherches jungiennes sur l’inconscient. Mais l’une de ses plus grandes contributions réside dans sa mise en lumière du concept d’unus mundus, cette unité primordiale entre le monde intérieur de l’homme et l’univers extérieur.
Inspirée par les réflexions de Jung sur la synchronicité, elle explore la manière dont des événements psychiques et physiques peuvent se répondre, illustrant une réalité plus profonde où matière et esprit s’entrelacent au sein d’un même tissu ontologique. Elle consacre d’importantes recherches à l’alchimie, considérée comme une tentative symbolique d’intégration de l’ombre et de transmutation psychique, ainsi qu’aux nombres en tant que structures fondamentales reliant la psyché humaine et l’ordre du monde.
Parmi ses ouvrages majeurs, Nombre et Temps approfondit cette perspective en soulignant la fonction archétypale des mathématiques dans l’ordonnancement du réel. Marie-Louise von Franz laisse ainsi un héritage considérable, poursuivant et amplifiant l’intuition jungienne d’une unité sous-jacente entre l’homme et le cosmos, une pensée qui continue d’influencer la psychologie, la philosophie et même certaines approches contemporaines de la physique et de la métaphysique.
« Il semble (...) que matière et psyché ne soient que la vision extérieure et la vision intérieure de la même réalité transcendant la conscience, car les constituants ultimes de la matière apparaissent à notre conscience observante sous des formes semblables à celles par lesquelles se manifestent les fondements ultimes intérieurs, l'inconscient collectif. Cette réalité unitaire qui transcende la conscience, l'unus mundus, fait écho à l'hypothèse d'une matière animée. Nous savons que, dans la mort, la partie matérielle de l'homme se dissout en particules matérielles inorganiques, donc en ce « quelque chose » que la physique moderne définirait comme un "champ électromagnétique, dont les points excités représentent les particules'' (Wheeler). » (Le Nombre et le temps, 1978, p. 272)
L’œuvre de Marie-Louise von Franz a joué un rôle fondamental dans la mise en place des conditions intellectuelles ayant favorisé l’émergence de l’écopsychologie. En approfondissant le concept d’unus mundus, elle a contribué à repenser la relation entre la psyché humaine et le monde naturel, soulignant que l’environnement extérieur n’est pas un simple décor passif, mais un miroir et un prolongement de l’intériorité humaine. Son exploration des contes de fées, des archétypes et des structures symboliques universelles a permis de réhabiliter une vision du monde où la nature est porteuse de sens, où l’homme n’est pas séparé de l’univers mais inscrit dans un réseau d’interconnexions vivantes. En intégrant la pensée alchimique et la synchronicité dans la psychologie analytique, elle a ouvert la voie à une compréhension plus holistique de l’être humain, où le soin de l’âme et le soin du monde apparaissent comme indissociables. Cette vision, qui s’oppose à la séparation moderne entre esprit et matière, individu et environnement, a largement inspiré les approches contemporaines de l’écopsychologie, qui visent à guérir non seulement les souffrances psychiques de l’individu, mais aussi celles du monde naturel en crise.
Ainsi, Marie-Louise von Franz apparaît comme une figure pionnière ayant préparé le terrain à une réconciliation entre la psychologie, la spiritualité et l’écologie, en proposant une conception du psychisme humain ancrée dans le vivant et en harmonie avec les grands équilibres du cosmos.