Perspectives actuelles de l’éducation. Un point de vue du Sud, de Moacir Gadotti

Moacir Gadotti, Docteur en Sciences de l'Education de l'Université de Genève, professeur à l'Université de Sao Paulo, directeur de L'institut Paulo Freire et auteur de plusieurs ouvrages dont : L'Education contre l'éducation (Paz e Terra, 1979, en Français et Portugais), Invitation à la lecture de Paulo Freire (Scipione, 1988, en Portugais, Espagnol, Anglais, Japonais et Italien), l'Ecole citoyenne: une leçon sur l'autonomie de l'école (Cortez, 1992), Histoire des idées pédagogiques (Atica, 1993, en Portugais et Espagnol), Pédagogie de la praxis (Cortez, 1994, en Portugais, Espagnol et Anglais), Perspectives actuelles de l'éducation (Artes Medicas, 2000) et Pédagogie de la Terre (Peiropolis, 2000).

 

Un point de vue est toujours la vue que l'on a d'un point donné. J'écris de Sao Paulo, au sud du Brésil. La notion de Nord et de Sud est non seulement arbitraire, mais très ambiguë. Tout dépend du point où l'on est. Le Nord peut être au Sud et vice versa. Quand nous parlons du Sud, nous y incluons très souvent des pays situés très au-dessus de l'Équateur. Il s'agit d'une notion complexe - surtout dans cette période de mondialisation - dont je ne débattrai pas ici aujourd'hui. Je n'aborderai pas non plus directement le thème de "l'autoformation", d'autres le feront bien mieux que moi.

 

Mon propos sera plutôt de montrer qu'il existe une vie intelligente, également au-dessous de l'Équateur, à travers la présentation d'une réponse concrète que la société latino-américaine et, en particulier, la société brésilienne, apportent actuellement à la question de l'internationalisation de l'éducation, soutenue par des institutions intergouvernementales, comme par exemple, la Banque Mondiale et la Banque Interaméricaine du développement, en me situant ainsi d'un point de vue du Nord. Il s'agit d'un mouvement d'éducation pour et par la citoyenneté qui a pour nom "l'École Citoyenne" et qui se construit depuis le début des années 90 en rénovant les pratiques concrètes de l'éducation, surtout dans des municipalités dirigées par des instances démocratiques et populaires. Je crois que ce mouvement, par son ampleur et ses fondements, représente une perspective concrète pour l'éducation, non seulement au Brésil, mais pour d'autres pays, y compris pour des pays du Nord.

 

Il serait fastidieux de mentionner ici toutes les communes qui ont introduit des innovations dans ce sens. Aujourd'hui, je souhaiterais seulement présenter certains des principes dont ce mouvement s'inspire et tirer de ces principes et de leur mise en oeuvre les conséquences qui vont dans le sens d'une réponse au défi que représente une éducation pour et par la citoyenneté, à l'ère de l'information.

 

En tant que mouvement de la société elle-même, l'éducation pour et par la citoyenneté est plus vaste que l'enseignement et l'école en soi. Cependant, je me limiterai à l'école, en tant que locus principal de l'éducation et à l'École Citoyenne en particulier, par son caractère historique exemplaire comme expression d'une éducation pour la citoyenneté. Si dans les pratiques actuelles de l'éducation au Brésil nous cherchons une alternative pour la construction d'une société dans laquelle on se reconnaisse (l'idée exprimée par l'auteur est littéralement " une société que l'on puisse soutenir, défendre "), apparaîtra certainement en premier lieu l'École Citoyenne.

 

Le mouvement pour "l'École Citoyenne" est né à la fin des années 80 dans le cadre de éducation au niveau municipal. L'École Citoyenne est fortement enracinée dans le mouvement éducation populaire et communautaire, qui, au cours des années 80, s'est traduit par l'expression école publique populaire correspondant à une conception et à une pratique de l'éducation mise en oeuvre dans diverses régions du pays. La conception de l'éducation populaire est certainement une des contributions les plus importantes de l'Amérique Latine à la pensée pédagogique universelle.

 

L'idée d'une "école de citoyenneté" était déjà apparue aux États-Unis dans les années 30, avec les fameuses Citizenship Schools, créées par l'éducateur populaire Myles Horton, en réponse à la demande de Esau Jenkins, un leader communautaire noir qui se battait pour que les écoles publiques alphabétisent les Noirs et leur donnent ainsi les moyens de conquérir le droit de vote et le pouvoir politique. Ils voulaient, de cette manière, développer l'éducation et l'alphabétisation en prenant comme professeurs des leaders noirs qui apprendraient la lecture à leurs élèves en partant de leurs besoins et de leurs désirs de conquête de liberté. Aussi bien Myles Horton que Paulo Freire ont influencé les systèmes d'enseignement en se fondant sur l'idée d'une éducation pour et par la citoyenneté.

 

La plus grande ambition de l'École Citoyenne - comme cela a pu être mis en évidence par des observations récentes et par les propositions de l'Institut Paulo Freire - est de contribuer à créer les conditions pour l'émergence d'une nouvelle citoyenneté, comme espace d'organisation de la société pour la défense des droits existants et la conquête de nouveaux droits. Il est question de former pour et par la citoyenneté à la gestion d'un nouvel espace public, non-étatique, une "sphère publique citoyenne", comme le dit Jürgen Habermas, qui conduise la société à prendre une part active dans la formulation des politiques publiques et ainsi à pouvoir participer à la transformation de l'État que nous avons vers la création d'un nouvel État, radicalement démocratique. On ne saurait changer l'école publique d'aujourd'hui sans une nouvelle conception de l'État.

 

La qualité de l'enseignement est directement liée au projet de société que nous voulons construire et aux projets des écoles elles-mêmes qui sont beaucoup plus efficaces dans la conquête de cette qualité que peuvent l'être les projets anonymes et distants des réalités quotidiennes auxquelles elles sont confrontées. Seules les écoles connaissent bien les communautés qui les environnent et les projets qu'elles élaborent peuvent apporter des réponses concrètes aux problèmes concrets de chacune d'entre elles. Elles peuvent ainsi respecter la spécificité ethnique, raciale et culturelle de chaque région. De plus, lorsque les communautés elles-mêmes participent activement au processus, elles peuvent d'autant mieux en évaluer les résultats. Les écoles ont besoin de connaître les situations significatives de leur contexte pour être en mesure de les questionner et d'en élargir la compréhension.

 

Parmi les nombreux exemples que nous pouvons citer, la plupart d'entre eux sont directement ou indirectement inspirés de la pensée de Paulo Freire (1921-1977), ce qui montre son actualité et son pouvoir de transformation. Certains de ses principes pédagogiques ou des intuitions originales de sa pratique se retrouvent facilement dans les expériences d'éducation citoyenne qui se fondent sur des relations éminemment démocratiques. Quels sont ces principes ?

 

1. partir des besoins des élèves ;

 

2. instaurer une relation de dialogue professeur-élève ;

 

3. considérer l'éducation comme une production et non comme une transmission et une accumulation de connaissances ;

 

4. éduquer pour la liberté et pour l'autonomie ;

 

5. renforcer les conditions et les éléments de connaissance de la pratique éducative ;

 

6. défendre l'éducation comme un acte de dialogue dans la découverte conduite avec rigueur mais aussi avec imagination de la raison d'être des choses ;

 

7. la notion d'une science qui ouvre sur les besoins populaires ;

 

8. la planification communautaire et participative.

 

Aussi bien dans sa conception que dans ses pratiques, l'École Citoyenne recouvre plusieurs noms et plusieurs caractéristiques propres. On peut d'ailleurs parler de "tendances" diverses de l'École Citoyenne (dans les États du Rio Grande du Sud, du Mato Grosso du Sud et du Parana ; dans les villes de Vitoria, Porto Alegre, Uberaba, Icapui, Natal et Mauà, situées dans divers États). Cela s'est nettement vérifié à Porto Alegre où le concept d'École Citoyenne et la pratique qui en découle ont connu divers développements. Il est évident que "citoyenneté" et "autonomie" vont de pair. On retrouve l'École Citoyenne sous diverses dénominations : "École publique populaire" (à Sao Paulo), "École démocratique" (à Betim dans le Mato Grosso), "École plurielle" (à Belo Horizonte), "École Candanga" (à Brasilia), "École Minimum" (à Gravatai), "École sans frontières" (à Blumenau), "École Guaicuru" (dans l'État du Mato Grosso du Sud), "École démocratique et populaire" (dans l'État du Rio Grande du Sud). Ce qui compte ce n'est pas le nom, mais la pratique d'une école honnête, dotée d'une nouvelle qualité, une école qui réponde aux besoins de l'enfant, du jeune et de l'adulte qui aspire à vivre dans la dignité cette traversée du millénaire, de plein pied dans la société de la connaissance.

 

Les conséquences de cette conception de l'éducation en termes non seulement de gestion, mais en termes d'attitudes et de méthodes susceptibles de former un nouvel enseignant, un nouvel élève, un nouveau système, un nouveau programme, une nouvelle pédagogie de l'éducation citoyenne, ces conséquences sont innombrables et profondes. Je citerai certaines d'entre elles dans cette deuxième partie.

 

Dans l'École Citoyenne, la présence de l'enseignant est importante, mais il s'agit d'un nouvel enseignant, médiateur de la connaissance, sensible et critique, apprenant permanent et organisateur du travail dans l'école, un guide, un coordonateur, curieux et surtout un constructeur de sens, un citoyen. Enseigner n'est pas transférer des connaissances. C'est créer les conditions de leur production, de leur élaboration.

 

L'élève arrive à l'école en y apportant chaque fois davantage un univers et un nombre d'informations qui dépassent le simple cadre de la famille et qui sont essentiellement transmis par les moyens de communication. Aujourd'hui, les enfants consacrent moins de temps à école et à l'étude qu'à la télévision. Comment rendre école efficace pour ces élèves ? Nous avons besoin d'une pédagogie qui favorise l'apprentissage permanent. L'ère de la connaissance est également l'ère de la société apprenante : nous sommes tous devenus des apprenants. La pédagogie de l'École Citoyenne, la pédagogie de l'éducation pour et par la citoyenneté ne se fonde plus sur la didactique, mais sur l'éthique et sur la philosophie. Elle se demande comment nous devons être pour apprendre plutôt qu'elle ne nous demande ce que nous devons savoir pour apprendre à enseigner. Le rapport enseigner-apprendre se transforme. Le dialogue est fondamental, comme nous l'a enseigné Paulo Freire. Le professeur n'est plus réductible à ce qu'il sait et l'élève à ce qu'il apprend. Au cours des séances de travail, tous deux apprennent et enseignent ce qu'ensemble ils découvrent.

 

De l'École Citoyenne surgit un nouvel élève : sujet de sa propre formation, curieux, autonome, motivé pour apprendre, discipliné, organisé mais surtout citoyen du monde et solidaire. De nombreux facteurs déterminent la vie personnelle et professionnelle de chacun. Néanmoins on peut dire qu'un engagement professionnel satisfaisant dépend aujourd'hui beaucoup d'un parcours scolaire cohérent, sans soubresauts, sans périodes d'interruption, sans de trop grande disparité de notes, une certaine régularité dans le cursus est préférable. De même, l'implication dans des activités collectives, bénévoles ou la réalisation de stages seront des avantages . Ce qui fera la différence, c'est la capacité de lien social de l'étudiant, sa capacité d'adaptation aux situations nouvelles, son esprit critique, son aisance à communiquer, sa capacité de relation et de travail en équipe. L'accumulation des connaissances ne vaudra pas forcément. Être un élève brillant, surtout dans une "école académique", bureaucratique, ne servira pas à grand chose. C'est pourquoi l'évaluation d'un élève doit être globale, elle doit prendre en compte un ensemble de critères, non pas en fonction de la discipline enseignée, mais en fonction d'un programme qui développe la capacité de continuer à apprendre.

 

L'École Citoyenne est véritablement une école nouvelle, capable de gérer le savoir, elle ne se veut pas académique, c'est une école avec un projet eco-politique et pédagogique, c'est-à-dire, un projet éthique, c'est une école innovante, qui favorise la construction de sens et une école (en portugais : "plugada", mot brésilien que je n'ai pas trouvé dans le dictionnaire, je propose "insérée") dans le monde. Dans l'éducation du futur, la capacité d'innover est essentielle et elle dépend également de l'autonomie des établissements, aussi bien dans la gestion des ressources que dans la gestion de l'école elle-même et dans la construction de son projet pédagogique. L'émergence de cette école du futur, de cet élève et de cet enseignant dépend aussi beaucoup de l'émergence d'un système d'enseignement nouveau, unique dans son genre, dans la mesure où il lui appartient de démocratiser le savoir, un système décentralisé, dans la mesure où il doit permettre une pluralité d'organisations et d'institutions. C'est sans doute là que réside le plus grand obstacle à l'École Citoyenne et à l'éducation pour et par la citoyenneté. Elle se développe à partir de la base et c'est cela qui est important. Mais son développement peut être entravé par un système d'enseignement bureaucratique, lent, paresseux qui empêche et décourage l'innovation.

 

On ne peut parler du mouvement de l'École Citoyenne sans poser la question du programme et des nouvelles orientations à lui donner. Le programme de l'École Citoyenne est envisagé comme un espace de relations socioculturelles. Non pas seulement l'espace du savoir, mais un espace de débat autour des relations sociales et humaines, un espace de pouvoir, de travail et de soin, de gestion de la convivialité. Il est question en cela d'éthique et d'exigence de valeurs. Programme et projet eco-politique et pédagogique de école sont des réalités inséparables. Le programme est un indicateur de la trajectoire politique et pédagogique de l'école, de ses succès et insuccès, de ses échecs et de ses victoires. Si l'école doit prolonger le projet de vie de ceux qui l'instituent, c'est-à-dire, enseignants, employés, élèves et communauté en général, le programme est également lié au projet de vie de chacun d'entre eux. Ainsi, il faut constamment pouvoir l'évaluer et le modifier. Il ne peut se limiter à des contenus disciplinaires ou comportementaux. Il ne peut se limiter à des savoirs et des compétences d'ordre cognitif. Dans l'École Citoyenne, il est envisagé à la fois comme contexte et processus, comme projet de vie institutionnel et individuel.

 

Au cours des dernières années, la conception de l'École Citoyenne a été marquée par l'Ecopédagogie entendue comme nouveau programme fondé sur l'idée de valeurs à soutenir. L'Éducation pour et par la citoyenneté est également une éducation pour une société de valeurs à défendre. L'École Citoyenne et l'ecopédagogie reposent sur le principe selon lequel chacun d'entre nous, depuis l'enfance, disposons d'un droit fondamental, celui de rêver, de concevoir des projets et d'inventer, comme le pensaient Marx et Freire. Nous avons tous droit à décider de notre destin, les enfants aussi, comme le soutenait l'éducateur polonais Januz Korczak. Et il ne s'agit pas de faire table rase de l'école et de la pédagogie actuelles et, sur leurs cendres, d'édifier l'École Citoyenne idéale et l'ecopédagogie. Il ne s'agit pas d'une école et d'une pédagogie "alternatives", au sens où elles devraient être construites séparément de l'école et de la pédagogie actuelles. Au contraire, en s'appuyant sur elles, il s'agit de construire dialectiquement d'autres possibilités, sans annihiler tout ce qui existe. Le futur n'est pas la négation du passé, mais son dépassement.

 

Les problèmes actuels, y compris les problèmes écologiques, sont provoqués par notre manière de vivre et notre manière de vivre est inculquée par l'école, par ce qu'elle choisit d'enseigner ou pas, par les valeurs qu'elle transmet, par les programmes, par les livres d'enseignement. Nous devons réorienter l'éducation à partir du principe d'exigence de valeurs, c'est-à-dire, reconsidérer l'éducation dans sa globalité. Ce qui implique une refonte des programmes, des systèmes éducatifs, la transformation du rôle de école, des enseignants et de l'organisation du travail scolaire. L'ecopédagogie, telle qu'elle s'est développée au sein de l'Institut Paulo Freire implique une nouvelle orientation des programmes sur la base de certains principes, tels que :

 

1. considérer la planète comme une seule communauté ;

 

2. considérer la Terre comme une mère, comme un organisme vivant et en évolution ;

 

3. construire une nouvelle conscience qui sache les valeurs à défendre, ce qui convient et qui fait sens pour notre existence ;

 

4. prendre soin de notre maison, la Terre, notre seule adresse ;

 

5. développer le sens de la justice socio-cosmique en considérant la Terre comme un homme pauvre, le plus pauvre d'entre tous ;

 

6. promouvoir la vie : s'engager, communiquer, partager, questionner, entrer en relation, s'enthousiasmer ;

 

7. avancer tous les jours en sachant donner sens à son action ;

 

8. développer une rationalité intuitive et communicative : affective et non instrumentale.

 

Les pédagogies classiques étaient anthropocentriques. L'Ecopédagogie part d'une conscience planétaire (genres, espèces, règnes, éducation formelle, informelle et non formelle). Notre point de vue s'est élargi. De l'homme vers la planète, au-delà des genres, des espèces et des règnes. D'une vision anthropocentrique vers une conscience planétaire et vers une nouvelle référence éthique. En se fondant sur l'Ecopédagogie ou Pédagogie de la Terre, l'École Citoyenne doit être également conçue comme une alternative vers la construction d'une société dans laquelle on se reconnaisse.

 

La connaissance est un capital précieux de l'humanité. Elle n'est pas seulement le capital des sociétés transnationales qui en ont besoin pour l'innovation technologique. Elle est indispensable à la survie de tous. C'est pour cela qu'elle ne peut être vendue ou achetée, mais elle doit être mise à la disposition de tous. Telle est la fonction que doivent remplir les institutions qui se consacrent à la connaissance, en s'appuyant sur les avancées technologiques. Nous espérons que l'éducation du futur soit plus démocratique, moins discriminatoire. Tels sont à la fois notre cause et le défi que nous avons à relever. Malheureusement, confrontés à l'absence de politiques publiques dans ce domaine, des "industries de la connaissance" sont apparues, portant atteinte à une possible vision humaniste et devenant des instruments de profit et de pouvoir économique.

 

Il incombe à l'École Citoyenne de s'intégrer activement au mouvement global de rénovation culturelle, en sachant bénéficier de la richesse des informations mises à disposition par les nouvelles technologies. Actuellement, c'est l'entreprise qui joue ce rôle innovant. L'école ne peut rester à la traîne des innovations technologiques. Elle se doit d'être un pôle d'innovation. Nous avons pour tradition d'accorder peu d'importance à l'éducation technologique qui devrait commencer dès l'enfance. Dans la société de l'information, l'école doit servir de boussole pour naviguer dans cet océan de la connaissance, en sachant dépasser une vision utilitaire qui ne se propose d'offrir que des informations "utiles" à la compétitivité et à l'obtention de résultats. Elle doit au contraire dispenser une formation générale articulée à une éducation globale. Que signifie servir de boussole ? Cela signifie guider de manière critique, surtout les enfants et les jeunes à la recherche d'informations qui les fassent grandir et non pas qui les abrutissent.

 

Aujourd'hui, tout est bon pour apprendre. Et cela va bien au-delà du simple "recyclage" ou de l'actualisation des connaissances et plus loin encore que "l'acquisition" des connaissances. La société de la connaissance est une société aux multiples opportunités d'apprentissage : avec des partenariats entre secteurs public et privé (famille, entreprise, associations) avec des évaluations permanentes, des débats publics, l'autonomie de école, la généralisation de l'innovation. Les conséquences pour l'école et pour l'éducation en général sont énormes : enseigner à penser ; savoir communiquer ; développer la recherche ; avoir un mode de raisonnement logique ; faire des synthèses et savoir élaborer théoriquement ; savoir organiser son propre travail ; avoir de la discipline dans son travail ; être indépendant et autonome ; savoir articuler la connaissance à la pratique ; être un apprenant autonome et à distance.

 

Dans ce contexte de diffusion de la connaissance, l'école a un rôle particulier à jouer : aimer la connaissance en tant qu'espace de réalisation humaine, de joie et de satisfaction culturelle ; il lui incombe de savoir sélectionner et revoir de manière critique l'information à diffuser, de formuler des hypothèses, d'être créative et innovante, d'être auteur de messages et pas seulement récepteur ; de produire, construire et reconstruire des savoirs élaborés. Et, de plus, dans une perspective émancipatrice de l'éducation, l'école doit réaliser tout cela en faveur des exclus. Ne pas discriminer les pauvres. Elle ne peut donner le pouvoir, mais elle peut construire et reconstruire les connaissances, le savoir qui est aussi le pouvoir. Dans une perspective émancipatrice de l'éducation, la technologie ne peut contribuer à l'émancipation des exclus que si elle est associée à l'exercice de la citoyenneté. l'école cessera ainsi d'être "académique" pour être "gestionnaire de la connaissance". l'éducation est devenue un facteur stratégique pour le développement. Mais pour ce faire, il ne suffit pas de la moderniser, comme certains le souhaitent, il faut la transformer en profondeur.

 

L'école a besoin d'un projet, d'avoir des données, de réaliser sa propre innovation, de planifier à court et à moyen termes, de procéder à la refonte de ses programmes, d'élaborer ses propres critères de contenus, enfin, d'être citoyenne. Les changements qui viennent de l'intérieur même de école sont plus durables. De sa capacité d'innover, de capitaliser, de formaliser sa pratique et son expérience dépendra son avenir. Dans ce contexte, celui qui éduque est un médiateur du savoir, face à l'élève qui est sujet de sa propre formation. Il lui faut construire le savoir à partir de ce que celui-ci fait. Pour cela, il lui faut également être curieux, rechercher le sens de ce qu'il fait et indiquer de nouvelles orientations pour ce qu'il convient de réaliser avec ses élèves.

 

En général, nous avons tendance à dévaloriser ce que nous faisons dans l'école et à rechercher des solutions en dehors d'elle, alors que c'est elle-même qui devrait pouvoir se déterminer. C'est son devoir d'être citoyenne et de faire acquérir au sein de la société la capacité de décider et de contrôler le développement économique et le marché. La citoyenneté doit contrôler l'État et le Marché, en tant que véritable alternative au capitalisme néolibéral et au socialisme bureaucratique et autoritaire. L'école doit donner l'exemple, doit oser construire l'avenir. Innover est plus important que reproduire, même avec souci de qualité, ce qui existe. La matière première de l'école est sa vision du futur.

 

L'école est contrainte de changer la logique de construction du savoir, car l'apprentissage s'étend maintenant à la vie entière. C'est parce que nous passons tout le temps de nos vies à l'école - pas seulement nous, les enseignants, - que nous devons y être heureux. Le bonheur à l'école n'est pas une question d'option méthodologique ou idéologique. C'est une obligation essentielle qui lui revient. Comme le déclare Georges Snyders, nous avons besoin d'une nouvelle "culture de la satisfaction", nous avons besoin de "la joie culturelle". Le monde d'aujourd'hui est "favorable à la satisfaction" et l'école peut également l'être.

 

Le grand sociologue brésilien Florestan Fernandes (1920-1995) avait l'habitude de dire que l'école n'éduquait pas à la citoyenneté. Il affirmait que la structure du pouvoir au Brésil était archaïque et se maintenait grâce à la classe dominante qui empêchait toute conscience critique du peuple. Cette structure politico-sociale et économique est toujours dominante. Mais, cette même société qui crée cette structure, crée aussi les conditions pour y réagir. Les contradictions sociales existent. C'est pourquoi nous avons des raisons d'être optimistes. L'une d'elles réside dans l'émergence de l'École Citoyenne, un motif d'espoir pour les prochaines années.

(Source : www.paulofreire.org/)