Chico Mendes travailleur des arbres de l'Amazonie et martyr de la paysannerie militante
Encore vivant dans le cœur des âmes libres, Chico Mendes fut paysan martyr, amoureux de son Amazonie. À lui seul, il cristallise non seulement l'écologie populaire du Brésil, mais aussi celle de l'Amérique du Sud. Plus que cela même, il est une étoile dans le ciel de l'écologie des pays du Sud et, à ce titre, il participe à son universalité. Cet homme est Francisco Alves Mendes Filho, né le 15 décembre 1944 à Xapuri, en Amazonie. Il sera internationalement connu sous le nom de « Chico Mendes ». Son engagement écologiste radical puisait à deux sources complémentaires : le christianisme révolutionnaire de la libération et le marxisme. S'il a appris le premier dans les communautés ecclésiales de base, il a reçu le second d'Euclides Fernandes Tavora, un vieux militant communiste qui participa à toutes les insurrections sociales et populaires du Brésil. Chico Mendes fut un seringueiro, c'est-à-dire un paysan dont l'activité est la récolte du latex de l’arbre à caoutchouc amazonien. Il s'engagea dans les années 1970 dans les luttes rurales. Avec le syndicaliste Wilson Pinheiro, il fonda, en 1975, le syndicat des travailleurs ruraux de Basiléia. Deux ans après, c'est dans sa ville natale de Xapuri qu'il initia une organisation similaire. Michael Löwy nous explique l'une des contributions de Chico Mendes à la dynamisation du combat paysan : « C’est à cette époque qu’il va inaugurer, avec ses camarades du syndicat, une forme de lutte non violente inédite dans le monde : les célèbres ‘‘blocages’’ (empates : le mot brésilien signifie littéralement ‘‘jeu à égalité’’). Ce sont des centaines de seringueiros, avec leurs femmes et leurs enfants, qui se donnent la main et affrontent, sans armes, les bulldozers des grandes entreprises coupables de déforestation. La démarche est souvent couronnée de succès jusqu'à gagner parfois l’adhésion des employés chargés d’abattre les arbres. Les ennemis des seringueiros sont les latifundistes, l’agronégoce, les entreprises de l’industrie du bois, qui veulent commercialiser les essences les plus chères, ou les éleveurs, qui veulent planter de l’herbe à la place des arbres abattus pour élever du bétail destiné à l’exportation. »
Avec l'aide de la Commission pastorale de la terre, du Parti des Travailleurs, du MST qui est train de se constituer, de la Central Única dos Trabalhadores (Centrale unique des travailleurs), le principal syndicat du Brésil, Chico Mendes et ses amis et camarades organisent en 1985 une Rencontre nationale des Seringueiros, d'où va sortir le Conseil national des Seringueiros. Très vite, les militants font le lien entre leur activité d’extraction et la lutte nécessaire contre la déforestation. Mais Chico Mendes a conscience que l'Amazonie n'est pas seulement une zone de grande diversité biologique, sa pluralité est aussi sociale, culturelle, linguistique, religieuse. Et face aux pouvoirs des possédants, des grands propriétaires et des firmes transnationales, il sait que l'unité dans la lutte est une exigence vitale, à la fois pour la cause écologique et la cause sociale. En 1986, Chico Mendes décide de s'allier avec l'un de ses amis, le chef indien amazonien Ailton Krenak, du Conseil national des peuples indigènes. Ainsi est née l'Alliance des peuples de la forêt (Aliança dos Povos da Florest). Le combat des seringueiros et des autres travailleurs de la forêt qui vivent de l’extraction (châtaigne, jute, noix de babaçu) rejoint celui des peuples autochtones. « Plus jamais, déclare Chico Mendes, un de nos camarades va faire couler le sang de l’autre, ensemble nous pouvons défendre la nature qui est le lieu où nos gens ont appris à vivre, à élever leurs enfants, et à développer leurs capacités, dans une pensée en harmonie avec la nature, avec l’environnement et avec tous les êtres qui habitent ici. »
Pour l'Union démocratique rurale (União Democrática Ruralista), qui malgré son nom est une organisation extrémiste de droite, résolument hostile à toute réforme agraire, et une expression du patronat rural de l'Amazonie, Chico Mendes est l'ennemi à abattre. Les mots ne sont pas innocents, car cette union est intimement liée à ces milices armées qui défendent les propriétaires en terrorisant les communautés paysannes et indigènes, allant jusqu'à l'assassinat de paysans militants et syndicalistes. J'ai dit que Chico Mendes était l'ennemi à abattre, et il sera effectivement abattu en 1988. Chico Mendes était parvenu à convaincre les dirigeants de la banque mondiale de ne pas financer (pour un montant de 60 millions de dollars) la construction de la route BR364 qui devait relier la capitale d’Acre à celle de Rondonia en traversant la forêt. Et, le 22 décembre 1988, le leader écologiste amazonien était assassiné. Darly Alves et son fils Darcy, ses meurtriers, sont arrêtés. Après une instruction prolongée qui durera deux ans, ils sont jugés en 1990 et condamnés chacun à dix-neuf ans de prison !
Sources :
Chico Mendes, Mon combat pour la forêt, Paris, Le Seuil, 1990.
Michael Löwy, « Écologie et socialisme : le combat de Chico Mendes », octobre 2005, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article666
Isabelle Collombat, Chico Mendes : ‘‘Non à la déforestation’’, Arles, Actes Sud, 2017.
(c) Mohammed Taleb