Gilbert Durand (1921-2012) a toujours été pour moi une référence intellectuelle importante. Son approche du mythe et de l'imaginaire, sa vision de la spiritualité et de l'écologie du monde, son intérêt pour les sciences profondes telles que la psychologie des profondeurs et la sociologie des profondeurs, ainsi que sa contribution au développement de nouveaux paradigmes et de la transdisciplinarité, faisaient de Gilbert Durand une figure de proue dans ma galerie de portraits des héros de l'Âme du monde... C'est donc tout naturellement que j'ai sous-titré mon premier livre, Sciences et Archétypes. Fragments philosophiques pour un réenchantement du monde, "Hommage au professeur Gilbert Durand".

Agrégé de l'université en philosophie, professeur de philosophie de 1947 à 1956, puis professeur titulaire d'université en sociologie et anthropologie culturelle à l'université de Grenoble, Gilbert Durand a occupé de nombreuses fonctions, dont celle de doyen honoraire de la faculté des lettres de Chambéry, directeur du Centre de recherche sur l'imaginaire à l'université de Savoie, vice-président de l'Université Saint-Jean de Jérusalem, ancien membre du Comité national du CNRS et ancien vice-président des Commissions consultatives des universités (CSU, CNU). Il a également cofondé les Cahiers internationaux de symbolisme à Mons. En outre, il a été membre de l'Académie de philosophie d'Iran et du Conseil consultatif du cercle d'Eranos à Ascona, en Suisse. Engagé à l'âge de 19 ans dans les Forces Françaises Libres, il a été l'un des dirigeants de la résistance...

Ses contributions ont été littéralement décisives, et chacun de ses ouvrages constitue une puissante expression dans le domaine des sciences humaines des nouveaux paradigmes scientifiques post-scientifiques et post-réductionnistes. J'ai particulièrement apprécié, outre ses Structures anthropologiques de l'imaginaire, devenues une somme classique, Science de l'homme et tradition, L'Âme tigrée, et son Introduction à la mythodologie. Pour Gilbert Durand, la compréhension de la matière mythique ne passe pas par la déconstruction du mythe, mais, au contraire, par sa réhabilitation en tant que pôle de vérité, pôle complémentaire et inséparable de celui du logos. La Ratio Hermetica, qu'il envisage notamment dans Science de l'homme et Tradition, se situe très exactement à la jonction d'un mythos structuré par le logos, et d'un logos animé par le mythos. Ainsi, Gilbert Durand prend le contrepied de la tendance historique occidentale à la dépréciation du mythe, à une démythologisation qui remonte bien avant Rudolf Bultmann. Réhabiliter le mythe, par les voies d'un renouveau de la Ratio Hermetica, est un acte de connaissance qui suppose la réalisation d'une œuvre, et qui est ce que je pourrais appeler une "prise de mémoire", comme il y a des prises de terre. Ici, Gilbert Durand entend inscrire sa démarche dans les filiations longues d'une contre-histoire de la philosophie. Il ne s'agit pas pour lui de faire l'archéologie objective de tel ou tel courant de pensée, mais de montrer la continuité d'une raison alternative à celle de la modernité capitaliste, une raison dont les hérauts sont Hermès, Apollon, Merlin, la divine Sophia, une raison de l'imaginatio vera, pour reprendre la formule de Paracelse, un autre de ses défenseurs. Dans cette contre-histoire de la philosophie, Gilbert Durand évoque les Néoplatoniciens d'hier et d'avant-hier, les Alchimistes, les Humanistes cosmiques de la Renaissance, les Visionnaires et les Romantiques, de Plotin à Goethe, de Proclus à Swedenborg, d'Ibn 'Arabi à Novalis. À ce dernier, il emprunte une expression exceptionnelle : la "Fantastique transcendantale". Gilbert Durand en sera, dans la seconde moitié du 20ème siècle, un illustre représentant.

De Gilbert Durand, voir notamment

Les structures anthropologiques de l'imaginaire (Paris : Éditions Armand Colin, 12e édition)

Introduction à la mythodologie. Mythes et sociétés (Paris : Albin Michel, 1996)

L'Imaginaire. Essai sur les sciences et la philosophie de l'image (Paris : Hatier, 1994).