Le Fil de Pénélope, Tome I, de Emmanuel d’Hooghvorst [2009]

Le Fil de Pénélope - Tome I

Emmanuel d’Hooghvorst

Grez-Doiceau, Beya Editions, volume n° 10, 2009, 460 pages

Préface de Charles d’Hooghvorst

Illustrations de Bruno del Marmol

 

Je n'ai jamais rencontré le Belge Emmanuel d’Hooghvorst (1914-1999), et ne sais donc rien directement de sa vie, mis à part ce que j'ai pu tirer du témoignage de ses proches et amis. Tous disent qu'un basculement eut lieu quand il rencontra le peintre Louis Cattiaux, l'auteur du Message Retrouvé. Il resta en rapport étroit avec lui jusqu’à sa mort en 1953. Emmanuel d’Hooghvorst se plongea littéralement, à partir de là, dans les études spirituelles et traditionnelles. Outre les humanités gréco-latines, et la philosophie étudiée à l’Université de Louvain, il se mit en tête d'apprendre les langues sémitiques, telles que l’hébreu, l’araméen et l’arabe. Il commença à écrire de façon régulière à partir de 1977, dans les revues La Tourbe des Philosophes et Le Fil d’Ariane. Ces articles furent rassemblés sous le titre Le Fil de Pénélope. Les éditions Beya ont pris l'initiative, en 2009, d'une nouvelle édition. Son frère, Charles d'Hooghvorst, dans la préface qu'il rédigea pour le tome 1 du Fil de Pénélope, écrit : « La Tradition unique ne déçoit pas ses amants studieux. Telle a été la quête patiente du Baron d’Hooghvorst, savant érudit en Lettres Anciennes, scrutant les mots des Écritures Saintes et Sages comme autant de coffrets scellés. En a-t-il retrouvé la clé magique qui dévoile le secret de l’Homme enseveli ? Car c’est bien du mystère de la Nature et de l’Homme qu’il s’agit concrètement, et non d’une érudition extérieure et spéculative ».

Il n'est pas possible, dans les limites de ce portrait, de présenter les divers textes qui jalonnent le Fil de Pénélope. Mais il y a un thème que j'aimerais aborder, c'est celui des liaisons qu'Emmanuel d’Hooghvorst met en lumière entre l'art, la nature, la psyché, le mythe et l'âme du monde. C'est dans le creuset de la tradition hermético-alchimique que notre auteur opère cette explication des liens. En fait, plus qu'un thème parmi d'autres, il convient de parler de l'alchimie comme d'un axe structurant toute sa pensée.

Dans un texte consacré à la dimension alchimique du poète latin Virgile, il écrit ces lignes superbes : « L’art ajoute à la nature ce qui lui manquait pour atteindre la perfection de sa création. Il nie donc l’évolution nécessaire, dernier dogme auquel notre monde croit encore : l’espoir sans fin occultant l’art ancien (...) Le verrier par exemple, transformera les cendres en verre qui est le terme de leur perfection » (p. 101). Dans un second temps, il précise quelle est la nature de cet art capable de conduire la nature à sa perfection : « Parmi toutes les formes d’art, la poésie est, certes, la plus digne d’admiration ici-bas, puisqu’elle a pour matière la plus noble fonction humaine : la parole. La poésie, la vraie, se confond avec la prophétie. Les Anciens ne doutaient pas que les poètes ne fussent possédés d’un être divin, la Muse. Sans Muse, pas de poète. Les termes cadencés du dire poétique étaient ceux d’un dieu incarné. Le dieu de la poésie était Apollon lui-même, chef du chœur des Muses et source de toute prophétie ou mantique ».

Tout le Fil de Pénélope est dédié à ce Grand Art, à cette poésie de la Nature vivante, à ce cosmos divin que les Alchimistes reconnaissaient dans les profondeurs à la fois de l'humain et de la matière. Notre auteur n'appelle donc pas à une lecture psychologisante. Il écrit même, d'une façon audacieuse : « L’alchimie n’est pas une recette. C’est une école philosophique n’admettant que l’expérience sensible comme critère de vérité. L’alchimiste veut toucher pour savoir ».

Il y a dans la tradition alchimique des correspondances subtiles entre la Nature vivante, les arts, et notamment la poésie, mais aussi la musique (cf. le symbolisme de la lyre), les opérations du Grand Œuvre, et, bien évidemment, les processus intérieurs par lesquels la personne humaine passe pour faire advenir en elle cette figure de majesté que les humanistes néoplatoniciens de la Renaissance nommaient l'homo universalis (appelé aussi, dans le contexte de l'islam, l'insan al-kamil, l'homme total ou parfait)...

Le mérite d'Emmanuel d’Hooghvorst, et c'est sa contribution spécifique, est de nous parler de ces correspondances en nous proposant une fantastique exploration du patrimoine littéraire et spirituel de plusieurs civilisations, la Grèce, Rome, l'Islam... Il écrit : « Les grands poèmes de l’Antiquité n’étaient pas des œuvres littéraires au sens moderne, mais des révélations poétiques du Grand Œuvre qui est aussi un Grand Art ». Finalement, il nous appelle à (re)devenir des lecteurs d'Homère, de Virgile, de Dante...