Georges Gusdorf, romantisme et « prise de terre », par Mohammed Taleb

 

Peut-on vraiment aborder la philosophie de la nature, l'écologie, et la (ré)conciliation entre la vie de l'âme et la Nature vivante sans évoquer l’œuvre essentielle de Georges Gusdorf (1912-2000), professeur émérite de philosophie à l’université de Strasbourg ? Peut-on ignorer ses inestimables travaux sur le romantisme ? En réalité, c’est l'ensemble de sa production intellectuelle qui mériterait aujourd'hui de nouveaux lecteurs. Notamment, je tiens à mentionner Fondements du savoir romantique (1982) et Du néant à Dieu dans le savoir romantique (1982), L’homme romantique (1984) et Le Savoir romantique de la nature (1985), quatre ouvrages regroupés dans les deux tomes de Le romantisme (1993).

Georges Gusdorf écrivait : « La critique romantique demeure plus que jamais d’actualité en notre temps où les progrès techniques multiplient les possibilités de falsification de l’expérience humaine (...) Contre quoi proteste la Naturphilosophie, consciente de l’insuffisance d’une vision du monde désincarnée, oublieuse de la réalité concrète. La vérité doit reprendre terre pour retrouver un visage humain ; elle doit commémorer l’ancienne alliance de la pensée avec la terre des hommes… » (1993, pp. 380-381). Dans le même esprit, quelques années auparavant, son propos abordait l'une des facettes de cette conception du monde désincarnée : « On peut diagnostiquer dans les rhétoriques logicomathématiques de notre temps une expression majeure de la nouvelle barbarie contemporaine ; elles manifestent la perte du sens de l’humain, la disparition des grandes images régulatrices qui préservaient la figure de l’homme dans un monde à sa mesure. Les théorèmes de la science unitaire, déliés de toute référence à la figure humaine, sont des vérités devenues folles. Est aliénée et aliénante toute science qui se contente de dissocier et de désintégrer son objet. Il est absurde et vain de prétendre constituer une science de l’homme si cette science ne trouve pas dans l’existence humaine son point de départ et son point d’arrivée. Dans de trop nombreux cas, les « sciences humaines » telles qu’on les pratique aujourd’hui ne nous proposent que les produits de décomposition d’un cadavre (...) Les maîtres de notre époque, renonçant à leurs particularismes, doivent rechercher en commun la restauration des significations humaines de la connaissance. Car le savoir représente l’une des formes de la présence de l’homme à son univers, un aspect privilégié de l’habitation de l’homme dans le monde. Il faut retrouver les contacts perdus et restaurer l’alliance traditionnelle entre la science et la sagesse » (1977, p. 646).

Tout est dit dans ces quelques lignes : « commémorer l’ancienne alliance de la pensée avec la terre des hommes » et « restaurer l’alliance traditionnelle entre la science et la sagesse ». C'est cela la révolution écologique de l'Âme du monde  !

De Georges Gusdorf, je recommande notamment ces ouvrages et articles :

Le romantisme (deux tomes). Paris : Payot, 1993.
Mythe et métaphysique. Paris : Flammarion, 1993.
Passé, présent, avenir de la recherche interdisciplinaire. Revue
Internationale des Sciences Sociales, 4, vol. XXIX, 1977, pp. 627-648.
Signification humaine de la liberté. Paris : Payot, 1962.
La Parole. Paris : Presses Universitaires de France, 1952.
Mémoire et personne. Paris : Presses Universitaires de France, 1951.
La découverte de soi. Paris : Presses Universitaires de France, 1948.