James Hillman et la psychologie archétypale,

par Mohammed Taleb

Pour moi, c’est avec James Hillman (1926-2011) que la psychologie des profondeurs a retrouvé l’éclat d’une pleine philosophie de l’Âme du monde. Psychologue américain, analyste qui a exercé pendant de nombreuses années, il est l’un des noms les plus importants de la galaxie jungienne. Il a dirigé longtemps l’Institut Carl Gustav Jung de Zurich et a été professeur invité dans les universités de Yale, Harvard, Princeton, Syracuse et Dallas. Dans cette galaxie, James Hillman est un astre solaire tout à fait spécifique. Avec la « psychologie archétypale » (archetypal psychology), qui est le nom qu’il a donné à sa propre conception du monde, il prolonge certaines intuitions de Carl Gustav Jung, en particulier celles concernant la relation entre la psyché et l’univers. Mais sa démarche est véritablement critique et on a pu le qualifier de post-jungien. En réalité, sa critique vise ces « jungiens » incapables de (re)trouver le sens du cosmos, de la dimension cosmique et écologique de tout processus de guérison.

Ainsi, dans Le Mythe de la psychanalyse, il regrette que la notion jungienne d’anima ait été réduite, en quelque sorte, à l’un des deux pôles du fameux couple « anima/animus », couple notionnel largement utilisé dans les milieux jungiens. Sans nier la valeur intrinsèque de ces deux notions, qui renvoient au féminin et au masculin, James Hillman estime que l’anima dépasse largement la place qu’elle a dans ce couple. « Bien que Jung nous ait donné le concept d’anima, il l’a par définition limité à la psychologie des hommes. Empiriquement, l’anima révèle en premier lieu les points où la conscience de l’homme est faible et vulnérable, reflète sa ‘contre-sexualité’ intérieure vécue comme une infériorité féminine – et le fait de geindre et rechigner. Cependant, on ne peut limiter l’archétype de l’anima à la psychologie particulière des hommes, puisque les archétypes transcendent hommes et femmes, leurs différences biologiques et leurs rôles sociaux. Les représentations de l’anima dans la mythologie grecque (…) renvoient à une structure de la conscience aussi signifiante pour la vie des hommes que pour celle des femmes. (…) l’âme ne se réduit pas à la simple féminité inconsciente de l’homme qui se révèle dans ses figures oniriques favorites de femmes, images d’un aspect de sa personnalité profonde. Elle offre des aspects plus larges qui touchent aux problèmes de perte d’âme, d’immortalité et de rédemption, de vitalité humaine, de sacré et de relation, et qui évoquent aussi l’anima mundi cosmique, l’âme universelle, où la psyché aux niveaux communs de subjectivité. » (2006, pp. 70-72)

Pour James Hillman, le défi est là : libérer la psychologie et, d’une façon plus générale, le champ de la ‘psy’ de la dictature d’un ‘moi’, d’une intériorité humaine essentiellement déconnectée du monde. À propos de l’âme, l’enjeu est de maintenir l’anima comme image de l’Âme du monde et, donc, de refuser qu’elle soit réduite au féminin de l’homme (comme mâle). En réponse à une question posée par Michel Cazenave, James Hillman soulignait : « J’aurais facilement tendance à craindre un certain maniement de la notion d’anima, qui en ferait un concept passe-partout, beaucoup plus qu’une figure vivante de l’âme ». (1984, pp. 497).

Si la psychologie doit être ainsi libérée, ce n’est pas seulement en raison d’une conception étriquée du ‘moi’, c’est aussi parce que, aujourd’hui, cette psychologie est l’un des éléments du problème. Dans mon esprit, ce problème réside dans la capacité de la société capitaliste à pervertir la démarche ‘psy’, que ce soit celle des ‘patients’ ou des ‘clients’, ou celle des praticiens de ce domaine. Toujours dans Le Mythe de la psychanalyse, James Hillman titre l’une des sections « La psychologie est-elle malade ? ». Il souligne : « Il fut un temps où la psychologie de l’inconscient parlait une langue vivante. Les origines de la psychologie moderne, que ce soit dans l’introspection de la Réforme, dans l’imagination romantique de Coleridge ou dans les activités révolutionnaires de Philippe Pinel, exprimaient l’âme d’une époque. Les psychanalystes viennois laissaient l’âme associer librement et énoncer ses déclarations radicales et barbares ; ses images jaillissaient. L’ordre établi était choqué par sa méthode et son langage, mais un nouveau discours psychologique était lâché. La psychologie était en contact avec l’âme. Elle avait de l’imagination. Mais aujourd’hui, la psychologie – même celle des profondeurs – est au service de l’ordre établi. » (2006, p. 159).

James Hillman veut ramener, avec sa psychologie archétypale, la psychologie dans les sillons de la révolution. Celle-ci est clairement, nous apprend-il, néoplatonicienne, hermétique, alchimique, romantique… Là est la voie.

De James Hillman :

  • Le Mythe de la psychanalyse. Paris : Payot, 2006.

  • Pan et le cauchemar. Guérir notre folie. Paris : Imago, 2006.

  • Malgré un siècle de psychothérapie, le monde va de plus en plus mal (avec Michael Ventura). Londres : Ulmus Company Ltd., 1998.

  • Une psychologie archétypale. Entretien avec Michel Cazenave. In Michel Cazenave, (sous la direction de), Carl Gustav Jung (pp. 491-499). Paris : Les Cahiers de l’Herne, 1984.

  • Le Polythéisme de l’Âme. Paris : Mercure de France/Le Mail, 1982.