Diversité religieuse, pluralisme culturel et politique du Vivre-ensemble

Il me semble qu'une réflexion sur les dimensions spirituelle/religieuse et culturelle du Vivre-ensemble dans les sociétés contemporaines ne peut pas ne pas intégrer les thèmes de la longue durée, du temps, de l'histoire. Faire du Vivre-ensemble un impératif pour l'avenir, ne serait-ce que pour éviter « la guerre de tous contre tous », est une tache cruciale. Raison de plus pour en explorer les fondements, et lui donner la légitimité historique la plus forte.

Par ailleurs, le Vivre-ensemble apparaît comme le nécessaire complément social et politique de ce processus de transition écologique qui doit métamorphoser, de fond en comble, les modes de production, de distribution et de consommation. Le Vivre-ensemble et l'écologie doivent s'accompagner l'un l'autre, pour que le lien social ne se développe pas à l'ombre d'une planète malmenée, et pour que le souci de la terre ne verse pas dans une opposition stérile entre sociosphère/biosphère. Là aussi, les cultures et les spiritualités ont des leçons à nous apprendre.

La première de mes thèses est que la qualité de l'action et de la pensée qui visent à ancrer le Vivre-ensemble dans les tissages du futur est en étroite dépendance avec la qualité de la mémoire que nous avons. Je précise que la mémoire n'est pas le passé, elle n'est pas un stock d'événements. Cela serait le cas si mon modèle de temporalité était linéaire, avec sa suite passé-présent-futur. A mes yeux, la mémoire prend place dans une autre configuration : mémoire-présence-imagination active, les trois étant les dimension de notre ici et maintenant. Un pro-jet, une perspective de convivialité, donc, ne peut se fonder sur une amnésie. Le Vivre-ensemble ne peut se jouer dans la seule intervalle entre présent et avenir. Rappelons-nous justement cette parole de Nietzsche : « Le futur appartient à celui qui a la plus longue mémoire ».

Le défi pour le pro-jet d'un Vivre-ensemble qui mettrait en relief la dimension culturelle et spirituelle de l'existence n'est pas d'opérer un retour à la Communauté prémoderne, dont on perçoit la clôture intrinsèque, mais de dépasser la Société marchande et utilitariste. Dit autrement, il s'agit de faire émerger des communautés ouvertes les unes sur les autres, qui reconnaîtraient le principe de l'autonomie du sujet, avec sa liberté de conscience. Il existe de nombreuses expériences sociales qui vont dans ce sens, comme, par exemple, les Communautés ecclésiales de Base en Amérique du Sud et du Centre, dans le sillage de la théologie de la libération, des communautés de quartier, des communautés militantes... Ainsi seraient évités les replis sur soi ou la volonté d'imposer les normes idéologiques d'un groupe, fut-il majoritaire. On peut parler, à ce propos, d'une « démocratie culturelle », qui accompagnerait les nécessaires démocraties politique, sociale et économique. S'il est important de valoriser cette problématique, c'est parce que les sociétés contemporaines, au Nord et au Sud de la planète, de la Suisse au Brésil, du Danemark à la Birmanie, du Canada à la Mauritanie, sont frappées du sceau du pluralisme culturel (qui s'exprime notamment par un pluralisme des langues, des convictions, des religions, des imaginaires, des codes et des visions du monde). L'enjeu n'est pas uniquement d'accepter ce fait, mais également de le rendre visible dans la Cité, dans l'espace public, pour éviter des refoulements dans la sphère privée ; refoulements qui sont toujours susceptibles de revenir tel un boomerang. Pour éviter les différends entre les personnes, les communautés, les peuples, il nous faut accepter les différences... Le droit à la différence est un droit humain, il est une condition indépassable d'un Vivre-ensemble spirituellement enraciné.

(c) Mohammed Taleb